22/06/2017

Ca devient de plus en plus dur de trouver un titre, je crois que mon cerveau fuit. Il s'est liquéfié.

Ne vous en faites pas, je ne vais pas vous servir la sempiternelle (j'utilise ce mot mais en vrai je le trouve ultra moche ! Comme dithyrambique. Avouez que c'est pas beau.) déclaration comme quoi j'en ai marre parce qu'il fait trop chaud tralala (et pourtant c'est vrai qu'il fait chaud !) parce que bon, j'ai eu tellement froid cet hiver à cause d'une panne de chaudière que ce serait mal venu de me plaindre. Et pourtant me plaindre j'adore ça.

On pense que cette ritournelle (mais bordel, qu'est-ce que j'ai avec les mots moches aujourd'hui ?!) de l'homme qui passe son temps à se plaindre ne date que de quelques années. Et pourtant, en réalité c'est une constante bien plus ancienne.



Editeur : Gallimard/Unesco
Parution : 1986
Pages : 439

Résumé :
Un jeune professeur pendant l'ère Meiji accueille un jeune chat chez lui. Le chat, observateur silencieux et plein d'esprit, va être témoin et chroniqueur de tout le petit monde d'hurluberlus entourant le professeur. Il va faire l'apprentissage de la vie aux côtés de ce qui convient le mieux à cet objectif : un grand professeur de littérature anglaise, le professeur Kushami.




Difficile de parler d'un roman quand tout, absolument tout, n'est que la satire d'une société en pleine transition.

J'avoue que beaucoup de choses m'ont paru plus évidentes quand j'ai pris le temps de faire quelques recherches biographiques sur l'auteur. Il se trouve que bien que Sôseki ait commencé sa carrière de professeur en suivant une formation en lettres classiques chinoises et en haïku (de l'oriental pur et dur donc) il a ensuite été envoyé en Angleterre pendant trois ans afin d'y apprendre la langue, puis est retourné au Japon pour enseigner l'anglais à l'Université impériale de Tokyo. On est d'accord que le gars envoie du lourd non ?

On se retrouve donc avec un homme, connu pour être relativement solitaire et un peu torturé (d'après ce que j'ai compris hein, donc je peux me tromper !) très au fait et admiratif de la culture occidentale mais pas pour autant couper de sa propre culture ... la vie n'a pas du être simple, Sôsô ! Et pourtant, bien qu'il critique beaucoup le Japon dans "Je suis un chat", il se trouve que c'est précisément le roman qui a fait sa popularité.

(pause dramatique)

J'ai une théorie, ça vaut ce que ça vaut : tout est du point de vue d'un chat. Voilà, point. Merci au revoir.

Si on creuse un peu, on comprend tout de suite que, certes, c'est totalement satirique vu que le chat passe son temps à analyser et se moquer des réactions et des pensées de son maitre (très vieillottes hein, puisque ledit maître n'a pas l'air de vouloir changer de siècle) mais puisque c'est un chat qui nous parle, ça va, ça passe. Après tout, ces petites bêtes sont connues pour être nonchalantes et moqueuses non ? Je trouve que c'est un franchement joli tour joué par l'auteur, qui se cache derrière l'identité de ce chat pour dire ce qu'il a envie de dire malgré que ça ne soit pas reluisant pour les japonais (surtout pour ceux qui refusent de voir et de comprendre que les choses changent) Et il n'y va pas de main morte :

"Voilà une bonne définition des êtres humains : il suffit de dire que ce sont des individus qui se créent sans cesse des choses dont ils n'ont pas besoin et passent ensuite leur temps à s'en plaindre." p.348

Fait mal hein ? Et quand on y regarde de près et quand on sait que ce livre a été écrit au tout début du XXème siècle on se dit que putain, on n'a pas beaucoup changer. A ne pas s'y tromper, le chat, c'est Sôseki, vraiment. D'ailleurs, le titre le dit non ?

Mais heureusement que tout n'est pas que moquerie perpétuellement, sinon je ne serai certainement pas aller au bout de ce livre. Il y a pas mal de passages drôles également, où Sôseki met le chat en scène de façon grotesque, car cette petite bête n'est pas bien âgé (le roman se termine il n'a que 2 ans) et il lui arrive de se mettre dans des situations ridicules, comme les chats savent le faire, tout en restant digne malgré tout et j'avoue avoir souri de ses déconfitures.

Mais ce chat, ce chat, ce chat !, c'est aussi un grand philosophe. Il se pose quelques questions par moment, lorsqu'il assiste à une réaction de son maître qu'il ne comprend pas, et j'étais vraiment intéressée par les réponses qu'il pouvait apporter de lui-même après un instant de réflexion. Mais il ne fait pas que ça à longueur de journée, il mène aussi une vie de chat faite de sieste, de chasse, et de visites en catimini chez les voisins qui, je le reconnais, m'ont un peu ennuyée.

Ben oui, j'ai toujours un truc négatif à dire toute façon. Non pas que ce n'était pas intéressant non plus, la première fois j'ai trouvé ça charmant de suivre ses déambulations de félin, mais après j'ai trouvé que ça ralentissait énormément le roman et créait des sortes de points morts où je me suis fait chier. Ceci dit, ces instants donnaient eux aussi naissance parfois à de jolis moments de philosophie sympatoches (vous attendez pas à du Descartes non plus hein, sinon j'aurai rien compris !) notamment lorsque le chat (qui n'a pas de nom au fait, il se fait appeler juste "le chat" ... bravo à celui qui a compris la référence !) nous parle de ces différentes techniques de chasse, ou de sport selon son point de vue, dont l'une consiste à grimper le long des pins, puis à en redescendre, et voici ce qu'il en dit :

"Descendre, c'est ralentir une chute, et tomber, c'est accélérer une descente, voilà tout." p.239

Pour se justifier quand il tombe cela dit. De la mauvaise foi ? Chez un chat, ça ne m'étonnerait même pas. Ca m'a un peu fait penser à mon neveu qui me dit : "marraine, tu m'as fait dépasser !" quand on fait des coloriages l'un en face de l'autre, même pas au coude à coude. Je me marre toujours dans ces moment-là, sans oublier de m'excuser bien entendu.

Je la vois venir la question : comment il peut savoir tout ça ce chat ? Après tout, ce n'est qu'un chat ! C'est Sôseki déjà, j'en suis sûre, et j'avoue que je me suis posée la même question au début, puis arrivé à la moitié du bouquin on comprend enfin pourquoi et ça donne un petit coup de fouet au roman, c'est assez chouette.

Parlons un peu de ce qu'il se passe vraiment dans l'histoire, maintenant. Le professeur Kushami est quelqu'un de taciturne, un peu fainéant, très accroché à sa culture malgré son statut de prof d'anglais. Le roman n'est en fait qu'une suite de visite qu'il reçoit, de gens plus ou moins sympathiques, qui vont tous le gonfler à différentes échelles et sur différents sujets. Rassurez-vous, bien qu'il y ait 5 ou 6 personnages, il est très facile de les reconnaître car ils reviennent régulièrement et ont tous un caractère très différent. En présentant ces hommes et ces femmes, Sôseki a peut-être voulu confronter les différents opinions qu'il était possible de trouver au Japon à cette époque. J'suis pas experte non plus hein.

Et la fin alors ? Comment ce genre de livre peut finir d'après vous ? Plus j'arrivais au bout, et plus je me posais cette question. Le dernier chapitre n'est qu'un concentré de presque tous les sujets évoqués précédemment et qui trainent sur tout un dialogue, un très très long dialogue entre tous ces personnages qui se retrouvent pour le clap de fin. De nombreuses choses sont très intéressantes et approfondies, et d'autres m'ont fait dresser les cheveux sur la tête.

Ah bah oui, roman écrit au début du siècle dernier, donc certains des personnages, très égocentriques en passant, ont des convictions très arriérés, notamment au sujet de la place de la femme dans la société ... là je vous jure que j'ai fait des bons au plafond et que j'y allais avec les "bandes de connard" et "bordel" et "et allez, c'est ça !" mais y'a encore un truc qui m'a laissé baba. A un moment donné de ce long dialogue de 30-40 pages, voilà qu'ils se mettent à parler du mariage :

"A considérer soigneusement les tendances de notre civilisation actuelle, je peux prédire que dans un avenir lointain le mariage deviendra une impossibilité. La raison ? La voilà : comme je viens de le dire, nous sommes dans un monde centré sur l'individu.[...]" p.423

Et il y a tout un discours comme ça après mais sorti du contexte ce sera incompréhensible, mais c'est dingue quand même de balancer quelque chose commence ça il y a un siècle !

Mais je ne voyais toujours pas comment il allait terminer et puis voilà que 3 ou 4 paragraphes s'enchainent et la fin est là, clap, fini.

Une fin que j'aurai jamais imaginé, je ne vous le cache pas ! D'un autre côté, c'est plutôt logique de finir de cette façon, sinon le roman aurait pu continuer indéfiniment quand on y réfléchit. Sauf que vous savez pas de quoi je parle puisque vous ne savez pas comment ça finit.

Héhéhéhéhé

Pas un coup de cœur, mais une bonne lecture que je suis fière d'avoir terminée, et un livre dont je me souviendrai longtemps !

Plus d'avis sur
http://www.livraddict.com/biblio/livre/je-suis-un-chat.html


Et ça m'a pris 5 heures pour vous pondre ça ! Je suis tellement crevée que j'ai même pas envie de me casser la tête pour tenter de vous balancer un truc drôle (ou alors je vous lance une banane ... non ?) Je vais me contenter d'aller boire une bonne bière fraîche !

Ah si, une petite chose : je savais pas où classer ce livre dans les libellés, contemporain, parce que vraiment certaines choses conviennent tout à fait à notre époque!, ou historique ? Dans le doute, je l'ai foutu dans les deux, rien à foutre.

Glouglou :
La mémoire d'un enfant ? De la vraie pâte à modeler !
Ca aussi c'est japonais.
Le dernier TAG, qui date du mois de mars. Je ne vais pas tarder à en faire un nouveau !

7 commentaires:

  1. Eh bien, tu m'as encore convaincue !! Donc, encore un livre qui rejoint ma wish-list !! Je sens que je vais aussi faire des bonds en lisant les passages sur la place de la femme dans la société, mais un roman philo-historico-contemporain à travers les yeux d'un chat ? Comment résister ?!!
    Merci pour cette chronique !! Je te fais de gros bisous ! :*

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    1. Ah !! J'adore te convaincre :3 Je pense que ce livre peut te plaire en plus, c'est typiquement le genre de lecture qu'on peut aimer toi et moi :D
      J'ai hâte que tu me dises ;)
      Des gros bisous à toi aussi ^^

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  2. *Amusé* Ta référence, c'est Gelluck, et son dessin satirique, chaton.
    Vu l'époque de Soseki, rien d'étonnant à ce qu'il ait été torturé. Déjà entendu parler de la guerre de Boshin? Elle n'a pas durée longtemps (1868-1869, un peu plus d'un an) mais comme toutes les guerres civiles, elle a fait très mal.
    De plus, le petit gars cumulait, enfant non désiré, sixième de fratrie.

    Dit autrement, transition ère tokugawa, (qui remontait à la guerre civile précédente, soit au shingoku-jidai, 16e siècle) et nouvelle ère Meiji/shota.
    Et non, tu ne veux pas savoir comment je sais tout ça. :P

    *S'enroule autour de la bipède et lui flanque un coup de museau à déraciner un arbre, avant de la laisser respirer et compter ses os* Gro.


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    1. Et non, raté, la référence c'était "Le dîner de con", avec Juste Leblanc qu'a pas de prénom.

      J'ai pourtant écrit que j'avais fait des recherches biographiques sur l'auteur, donc tout ça je le savais puisque je m'étais documentée (je ne savais pas qu'il était non-désiré ceci dit), et si je ne l'ai pas mis dans la chronique c'est parce que je ne voulais pas assommer mes lecteurs.
      Mais merci quand même :)

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    2. *Grogne qu'il a été assommé.*

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  3. J'aime beaucoup ta manière de raconter les livres que tu as lus, ça sort de l'ordinaire... ;)
    J'ai l'impression que les Japonais aiment beaucoup mettre des chats dans leur roman (mais les écrivains en général) : ça me rappelle un passage de Kafka sur le rivage de Haruki Murakami avec un chat qui parle avec sa philosophie de chat et qui m'avait beaucoup marquée !

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    1. Merci beaucoup :3
      Je crois que ça a un rapport avec le Maneki Neko, une sorte de chat porte-bonheur, mais je ne suis pas certaine :O
      Tu as totalement raison ! Effectivement j'aurai pu associer ce livre au passage de celui de Murakami ! "Kafka" est vraiment superbe, et cette scène aussi m'avait énormément bluffé ! En plus la philosophie du chat est pratiquement la même que celle de Sôseki ! T'as eu une super idée ! :D
      Merci :) Ca va peut-être me motiver à chroniquer enfin "Kafka sur le rivage" XD

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